mardi 27 décembre 2016

Luis Miguel Dominguin


 "Dans les années cinquante, soixante et au-delà, la rumeur du grand monde relayée par quelques magazines de haut tirage donnait régulièrement des nouvelles d'une sorte de héron dédaigneux couvert de femmes et de toros morts : Luis Miguel Dominguin cadastrait le clos de la renommée avec ses jambes de compas.On le voyait à l'entrée de l'hôtel Claridge à Londres avec Ava Gardner, il se fâchait avec Hemingway au bord d'une piscine à La Havane, paradait à Hollywood avec Rita Hayworth, fêtait à Vallauris avec un Picasso en short les quatre-vingts ans du peintre également parrain de sa fille Paola, jouait à faire du cinéma avec Jean Cocteau dans Le Testament d'Orphée et les grottes des Baux. Rafael Alberti lui écrivait des poèmes. Luis Buñuel tentait de le convaincre de la mystique érotique de la corrida. Il chassait avec Franco qui lui demandait des nouvelles de Domingo son frère communiste, faisait de Luchino Visconti le parrain de son fils le chanteur Miguel Bosé. Rien à redire." (Jacques Durand, préface à Pour Pablo de Luis Miguel Dominguin)
   Deux biographies parues en moins de dix ans en Espagne montrent l'intérêt que suscite encore la vie de l'ex numéro un. Sans doute regrette-t-on aujourd'hui cette époque des années cinquante et soixante où un toreo pouvait faire la une de "Paris-Match" et séduire les stars du cinéma mondial. A vrai dire, dans l'histoire de la tauromachie, Luis Miguel fut le seul, avec, dans une moindre mesure, El Cordobés, à avoir une aura qui déborde aussi largement du monde taurin.
   Si l'on se borne à l'aspect tauromachique, Luis Miguel fut un grand torero. En le voyant toréer sur le petit écran (Toreros para la historia XI de F. Achucarro), j'ai été frappé par la force de son toreo. Grâce à son sitio exact, par les vertus de son aguante et de son temple il allonge la charge de ses toros et semble leur donner une envie toujours plus grande de se livrer. Cette capacité à dominer ses adversaires, agrémentée d'une élégance princière, fit de lui une des principales figures de la tauromachie de la fin des années 40 (c'est en 1949, à Las Ventas,  qu'il eut ce geste resté fameux de lever l'index pour signifier qu'il était le numero un) jusqu'au début des années 70 lorsqu'il fit sa réapparition vêtu de costumes dessinés par son ami Picasso. Son air de supériorité teinté d'une touche de mépris pour le reste du monde lui a valu des admirations froides et des haines féroces. Il a toujours prétendu que la controverse qu'il alimentait par son comportement l'aidait à trouver en lui-même l'énergie suffisante pour se dépasser et triompher.
   Son statut de torero numero uno, son élégance raffinée mais aussi son intelligence, sa culture et son ironie mordante vont permettre à Luis Miguel d'être reçu dans tous les milieux. Partout sa séduction opère. On ne reviendra pas ici sur l'usage intensif qu'il en fit auprès du deuxième sexe, avec une prédilection marquée pour les actrices célèbres. On regrettera seulement que son machisme ait réduit, durant leur mariage, l'actrice  Lucia Bosé à un unique rôle de mère de famille.
   On sait aussi qu'il fréquentait les chasses de Franco en même temps qu'il aidait les amis communistes de son frère Domingo. Belle duplicité, choquante pour le commun des mortels, d'une logique sans faille pour un homme qui a choisi le camp des vainqueurs et des puissants mais qui ne veut rompre la solidarité fraternelle. L'argent que gagna Domingo en gérant la carrière de son cadet servit largement à financer le Parti Communiste Espagnol clandestin.
   Le film d'Achucarro montre de larges extraits de l'équipée en Yougoslavie où deux corridas sont organisées début octobre 1971 à Belgrade. Luis Miguel Dominguin y torée en compagnie de Roberto Piles. Les toros y étaient de présentation normale pour les lieux, déclara celui-ci à propos des deux corridas de Salvador Guardiola et Carlos Nuñez. N'empêche, on y voit un novillo de Guardiola plein de caste. Luis Miguel séduira bien sûr le public yougoslave, au prix d'un accrochage et d'une douloureuse blessure à la main.
   Du 1er décembre 1973 à Quito (sa dernière corrida) jusqu'à son décès le 8 mai 1996 à l'âge de 70 ans, Luis Miguel vivra dans une retraite discrète, à mille lieues de la vie trépidante et mondaine d'antan. Il semble que la misanthropie de l'homme ait alors définitivement pris le dessus sur son besoin de reconnaissance.

A lire :
   Jacques Francès "Santiaguito", Luis Miguel Dominguin, UBTF, 2000
Une biographie claire et concise qui privilégie l'aspect taurin sans éluder le mondain.

   François Zumbiehl, Des taureaux dans la tête, Autrement,1987
p.45 à 69, Luis Miguel se livre en profondeur

   Luis Miguel Dominguin, Pour Pablo, Verdier, 1994
Un texte écrit par le torero en 1960 à la demande de Picasso à l'occasion de la publication du livre d'art Toros y Toreros

   Andres Amoros, Luis Miguel Dominguin : el numero uno, La esfera de los libros, 2008
biographie en espagnol

   Carlos Abella, Luis Miguel Dominguin : a corazon abierto, Bellatera, 2016
en espagnol, réédition toute récente d'un livre paru pour la première fois en 1995

A voir :
   Fernando Achucarro, Toreros para la historia XI

   Marianne Lamour, Jacques Durand, Luis Miguel Dominguin 














Gitanillo de Triana, Antonio Bienvenida, Manolete, Luis Miguel Dominguin, Madrid, 19 septembre 1946, corrida de bienfaisance; encore peu connu, Luis Miguel a dû faire un don pour être rajouté au cartel, il sortira pour "triompher ou mourir" et coupera trois oreilles.
  

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