lundi 7 avril 2025

La corrida de Saint-Martin-de-Crau

 La corrida de Saint-Martin-de-Crau (Thierry Wagniart)

Magnifique entrée hier dans les arènes de Saint Martin de Crau.  Il faut dire que le temps se prêtait à repartir aux arènes pour attaquer une nouvelle saison taurine. Le temps et les fameux Albaserrada d’Escolar Gil prévus à l’affiche. Ils ne se bousculent pas au portillon les « valientes » pour se mesurer à ce type de Toro. Les écoles taurines ne vous préparent pas affronter ce bétail… déjà il faut s’y mettre devant, posséder un mental à toute épreuve…mais pas que ! Être prêt à affronter et à supporter ce regard vif qui scrute faits et gestes. L’Escolar apprend vite ce qui rend son combat très difficile. Avec eux, pas de faena moderne, la « ligazón » se fait rare… mais on peut triompher avec ces Toros, pas souvent, mais on peut.

Alberto Lamelas, le « taxi driver » madrilène est sorti sur les épaules de ses fans après avoir été un chef de lidia remarquable, indispensable pour ce type de course. Je l’ai trouvé plus posé, plus technique que d’habitude, tout en maîtrisant les idées malsaines de ses deux « cárdenos ». L’envie est toujours présente et l’expérience des courses dures lui permet de se sortir de sacrés guêpiers. Coup de chapeau à lui.

On pourra reprocher beaucoup de choses au torero français Maxime Solera, son inexpérience, ses approximations, mais franchement, la série de naturelles profondes, pures qu’il nous a offerte aujourd’hui mérite tout le respect du monde et l’oreille qu’il a coupée. Preuve que le garçon sait toréer. Ce torero mérite plus d’opportunités dans l’avenir…dans ce créneau de corrida dure où il peut se faire une place.

À la lecture du cartel élaboré par ces passionnés du Toro de Saint Martin, la présence sur l’affiche du torero de Jerez, Cristobal Reyes, m’avait surpris, interpellé. Mais c’était surtout le mot « inquiétude » qui prédominait dans mon esprit… et à juste titre.

Hier le torero est passé à côté  d’une catastrophe évidente. On aurait pu vivre un drame. Et là j’en veux un peu à son entourage et à l’organisation qui l’ont embarqué dans une galère qu’il n’avait nullement les moyens d’affronter. 

Bon finalement, tout le monde rentre au bercail indemne, Escolar Gil maintient son rang ( en attendant les sorties de ses « cárdenos » à Madrid, Pamplona et Mont de Marsan ainsi qu’une novillada très attendue à Roquefort), ses Toros ne laissent pas indifférent.

Petite anecdote du jour : pour la première fois de ma vie, j’ai vu et entendu un président d’une corrida, prendre son micro à la fin de la lidia du premier toro et nous expliquer que si l’on voulait des oreilles il fallait se manifester ! Voilà ! Sur le coup je me suis pincé pour m’assurer que j’étais bien à St Martin de Crau … j’y étais bien, et d’ailleurs on y reviendra avec plaisir.

wT 

 



 

jeudi 3 avril 2025

Tardes de soledad : un coup de poing à l'estomac

 

 
   J'étais, avant le lever de rideau, tendu comme on peut l'être avant le paseo d'une corrida particulièrement attendue. On a dit tant de choses contradictoires sur le film. Et puis ce succès critique incroyable pour un film taurin, la une des Cahiers du Cinéma accompagnée d'un dossier remarquablement conçu (sans la moindre incongruité ce qui est rarissime pour une revue non spécialisée dans la chose taurine  et en dit long sur sa qualité). Et depuis la sortie nationale du film, un incontestable et surprenant intérêt de la part du public y compris dans les régions éloignées de toute culture taurine. Ici, à Mont-de-Marsan (à ce jour aucune salle bordelaise n'a daigné programmer le film!), le cinéma se trouve quasiment en face des arènes du Plumaçon et l'on peut penser que le public très varié qui remplit peu à peu la salle sait où il met les pieds. Nous voilà parti pour deux heures en immersion totale dans l'univers de la corrida.
   Tardes de soledad est un excellent film sur la corrida. Par ses choix d'angles de vue, son utilisation extraordinaire du son, ses choix narratifs (un torero, son équipe, des combats mais aussi l'avant et l'après à l'hôtel ou dans le coche de cuadrilla) Albert Serra est remarquablement parvenu à immiscer le spectateur de l'obscure salle de projection dans ce qui fait le quotidien d'un matador de toros. Une réussite qui participe de la magie du cinéma lorsqu'il est servi par un grand réalisateur. En 1955, dans Toro, Carlos Velo avait réalisé un film de la même veine en prenant le matador mexicain Luis Procuna comme protagoniste de son film. 
   Ce film n'est à vrai dire pas du tout destiné aux aficionados. Le parti pris de l'auteur de ne montrer durant les lidias qu'une partie réduite des corps du torero et du toro, qu'une partie extrêmement réduite de l'arène ne permet pas à celui-ci de retrouver ses repères habituels, de mettre en branle ses critères de jugement de l'action entrevue. Ce dispositif est en revanche parfaitement adapté pour susciter l'émotion qui nait de l'affrontement entre la bête et l'homme. Et les aficionados sauront gré à Albert Serra de nous montrer sans fard les fondements de la corrida, à savoir le combat entre un animal agressif, puissant et un homme courageux, à l'intelligence froide. La tauromachie n'est pas ici considérée comme simple divertissement mais comme source d'émotions profondes et intenses. On sait que le réalisateur avait aussi pensé à rendre compte de son aspect plus artistique en filmant le matador sévillan Pablo Aguado. Option qui ne sera pas retenue au vu des rushes réalisés qui étaient loin de transmettre l'émotion des séquences tournées avec Roca Rey. Le film y aura gagné en tension même si la vérité de ce que peut être aussi la corrida a été perdu. On saura gré également au réalisateur de ne pas avoir éludé la mort du toro. Cela constituait sans doute un passage obligé pour lui afin de ne pas être pris pour cible par les antitaurins. Il me semble toutefois que la célèbre série de photographie de Lucien Clergue Toros muertos atteint à une plus grande expressivité, peut-être parce que la photographie est plus appropriée à rendre la mort que ne l'est le cinématographe.
   Malgré son refus des lieux communs (on voit très peu l'aspect rituel et cérémoniel), il est un passage obligé que réussit parfaitement le cinéaste : celui de la séance d'habillage. A la fois très intime (comment placer son sexe) et spectaculaire (l'enfilage de la taleguilla), avec en point d'orgue le plan quasi-miraculeux où l'image de la vierge posée sur la table de nuit apparait en contre plongée entre les jambes du matador.
   La personnalité d'Andrés Roca Rey est pour beaucoup dans la réussite du film. La froide et impassible spiritualité qui émane de sa personne l'apparente à celle des samouraïs. Que ce soit dans l'arène face au toro ou en dehors il semble flotter dans un autre monde que celui du commun des mortels. On le sent entièrement tourné vers la domination qu'il entend exercer sur les toros et sur le public, mais il nous touche par sa lucidité  dans les moments les plus difficiles, par ses doutes dans les moments de triomphe. En fin de compte et malgré le mécontentement exprimé par le torero lorsqu'il prévisionna le film, on peut dire que Tardes de soledad est un film à sa gloire et à travers lui à la gloire de tous les toreros.
   Il faut dire un mot de la cuadrilla très présente durant tout le film. Un régal pour l'aficionado de pouvoir les entendre pendant la lidia où ils se montrent d'ailleurs très sobres. On leur a reproché un vocabulaire très dépréciatif envers les toros, mais c'est la réalité du ruedo. Pour un peon, tout toro qui n'est pas une sœur de charité est un fils de pute. Il reste à concevoir un film qui montrerait la vie en liberté du toro dans la dehesa et le respect dont il est entouré par les aficionados tout au long de sa vie. Quant à l'abus de vocabulaire viril on peut penser que son symbolisme ne devrait effaroucher personne à une époque où tout est possible y compris d'en avoir. 
  Pour nous aficionados la réception du film par le grand public n'est pas sans importance. Ici plus question du ''vivons cachés'' qui a l'avantage de nous soustraire à l'ire des antis. Le film est brut, fascinant, il va à la corne, l'exposition est maximale. On peut penser que deux minorités se dégageront. Celle des effarouchés qui viendront grandir le rang des antis. Celle des curieux qui, saisis par un spectacle si extraordinaire auront à cœur d'en savoir plus et décideront de se confronter sur les gradins d'une arène à la réalité d'une corrida. Y retrouveront-ils les émotions que procure le film ? En découvriront-ils de nouvelles ?
Ce qui est certain, c'est que ce film proclame que, par sa spiritualité, par les liaisons qu'elle entretient avec la mort, la corrida est un phénomène culturel majeur.
   
   

dimanche 30 mars 2025

Croquis de la fête taurine (poèmes 18)

 
Roman
 
Pêcheur breton ou matador levantin
la vie
vaut
d'être vécue, ta joie en est l'épreuve.
 
 
 
Diego Urdiales
 
Une perle si fine dans un écrin modeste
Perle 
ton toreo
Ecrin toi Diego l'homme de la Rioja.
 
 
 
José María Manzanares (fils)
 
Séduisant recibir, volapié sans merci
ton corps
est un appel
à se perdre dans les méandres de la mort. 







samedi 15 mars 2025

Un texte de Jérôme Forsans

 
J'avais présenté il y a peu les réflexions de Jérôme Forsans sur la tauromachie (ici). Voici en complément à son dernier recueil CogiToro un texte qui établit un lien entre l'actualité et notre expérience d'aficionado :
 

La corrida nous rend-elle meilleurs?

L’aspiration au changement est inhérente à notre nature humaine. Ce processus actif depuis le simple organisme unicellulaire jusqu’à nos sociétés développées a accompagné notre évolution biologique et fait le tissu de notre histoire. Nous voyons actuellement un bouleversement de cette organisation planétaire qui ressemble plus à une destruction de l’ordre établi qu’à la reconfiguration de celui-ci vers des libertés nouvelles.

La mécanique évolutionniste semble s’être enrayée et nous conduire vers une période plus sombre de notre histoire.

Sans jamais se répéter, l'histoire oscille entre des cycles de progrès et de régressions.  Le siècle dernier en témoigne : l'élan émancipateur des années 60, marqué par les indépendances géopolitiques et les révolutions sociétales, contraste clairement avec la montée des intolérances et des forces destructrices des années 30. Là où le progrès rend possible la nouveauté, le nihilisme imite ce progrès par la simple rupture du cadre existant. Il est difficile de faire le bilan du 20ème siècle mais nous pouvons constater à la sortie des deux grands conflits mondiaux  deux avancées portées par la science: une augmentation de l’espérance de vie et un bouleversement fertile des conceptions de notre place dans l’univers. Les arts ont accompagné ces bouleversements et ont renouvelé la capacité de l’humanité à s’imaginer elle-même. Ces progrès, s'ils ont su entraîner les foules ont souvent été initiés par de simples individus dont les noms ornent les frontons de nos académies d'arts et de sciences.

Les périodes d’obscurantismes ont été aussi annoncées par des individus qui souvent sans aucun titre ni qualité ont  entraîné les foules.

Ces individus n’ont pas fait advenir de nouveaux possibles, avec leur lot inquiétant d’inconnu, mais ont réactivé une pensée archaïque en guise de changement. Là où le progrès nous donne un ailleurs dans lequel exister, l’obscurantisme mime un mouvement qui n’est qu’un défilé de vieux totems. Seuls des individus ayant abdiqué leur capacité de jugement au profit d’un collectif qu’ils se  sont paresseusement choisi peuvent accepter de se leurrer ainsi. Les arts et les sciences deviennent des ennemis pour eux car ils se satisfont d’une société où le vrai et le faux n’ont pas plus de valeur que le bien et le mal.

La confusion générale les préserve de penser par eux-mêmes ou de simplement recevoir toute expérience leur rappelant leur responsabilité personnelle. Ces individus simplifiés, selon la formule de Georges Bernanos, n’aspirent qu’à se décharger d'eux-mêmes dans un collectif rassurant, aussi évidemment mortifère soit-il.

Cet abandon qui contredit la composante élémentaire de la vie nous interroge. En admettant que la corrida, forme d'art actuellement la plus menacée survive, pourra-t-on dans cette atmosphère distinguer un taureau qui consent en toute plénitude au don que lui fait le torero de celui qui se rend passivement à la main de ce dernier? 

Un animal qui choisit d'entrer dans un cadre jusqu’alors inconnu avec celui qui se leurre d’exercer encore sa combativité?

Seul un spectateur qui dans sa propre existence n’aura cessé d’exercer sa douloureuse liberté pourra percevoir encore cette vérité.

La corrida comme tous les arts majeurs exigera toujours face à elle cet individu libre.

 

Jérôme Forsans

 

mardi 25 février 2025

Les trois ferias

    Elles ne jouent pas dans la même catégorie que la quasi-totalité des autres ferias de la planète taurine dont l'objectif principal est de permettre aux matadors de couper des oreilles à gogo après avoir instrumenté des faenas d'au moins  cinquante passes. Elles, les trois ferias, ont une ambition bien supérieure : offrir la lidia complète de toros de caste et d'irréprochable présentation. La cause est belle et difficile à atteindre. On ne peut que souhaiter que toros et toreros soient le plus souvent possibles au rendez-vous à San Agustin del Guadalix en avril, à Vic-Fezensac en juin et à Céret en juillet.
   Voici pour cette temporada 2025 leurs cartels : 

 

 
Samedi 26 avril   
12h   novillada
Barcial - Alicia Chico
Miguel Andrades - Jesús de la Calzada 

18h   corrida
Prieto de la Cal - Cuadri
Luis Gerpe -  Juan de Castilla - Cristobal Reyes
 
Dimanche 27 avril   
12h   corrida
Dolores Aguirre
Damián Castaño 
 
 

Samedi 7 juin   
11h   novillada
Prieto de la Cal
Jesús de la Calzada - Pepe Luis Cirugeda - Cristiano Torres
   
18h   corrida
Saltillo 
Sanchez Vara - Gomez del Pilar - Luis Gerpe
 
Dimanche 8 juin   
11h   corrida concours
Miura - Prieto de la Cal - Villamarta
Veiga Teixeira - Pallares - Pagès Mailhan
Esaú Fernandez - José Garrido - Roman
 
18h   corrida
Dolores Aguirre
Fernando Robleño - Damian Castaño - Juan de Castilla
 
Lundi 9 juin   
11h   novillada sans picadors
 
17h   corrida
Arauz de Robles - Flor de Jara
   Morenito de Aranda
 
 
 
Samedi 12 juillet   
18h   corrida 
Saltillo
Rafael de Julia - Damian Castaño - Cristobal Reyes
 
Dimanche 12 juillet   
11h   novillada
Hermanos Quintas
Jesús de la Calzada - Pepe Luis Cirugeda - Mario Vilau
 
18h   corrida
Sobral
Curro Diaz - Fernando Robleño - Juan de Castilla
 
 
   Honneur aux braves qui participeront aux trois ferias : le novillero Jesus de la Calzada et les matadors Juan de Castilla et Damian Castaño. Avec pour ce dernier l'épreuve majeure d'affronter seul le 27 avril à San Agustin del Guadalix six pensionnaires de Dolores Aguirre. Ce sera un des cartels cumbres de la temporada. À Vic c'est Morenito de Aranda, grand triomphateur de la temporada 2024 dans le Sud Ouest, qui affrontera seul six toros le lundi de Pentecôte. Suerte Maestros !
   Côté toros, on retrouvera avec plaisir les classiques du genre (Dolores Aguirre, Saltillo) mais on pourra aussi découvrir des fers peu connus. La ganaderia Alicia Chico d'origine Arranz est la dernière à pratiquer la transhumance de son bétail (de la province de Teruel à celle de Jaen); il semble que, malgré le décès d'Alicia il y a quelques années, la tradition se perpétue. Arauz de Robles a la particularité de posséder une multiplicité d'origines, ce qui apparait dans les robes très variées de ses  toros; ils n'avaient pas foulé le sable d'une arène française depuis trente ans. Enfin les novillos des Hermanos Quintas, présents à la novillada cérétane, sont annoncés d'origine Vicente Martinez, prestigieux élevage madrilène du début du XXe siècle. On pourra en revanche regretter la surreprésentation des pensionnaires de Prieto de la Cal dont la caste est trop souvent en berne depuis longtemps déjà.
 
   Je voudrais pour terminer mentionner la cité béarnaise d'Orthez qui, le dimanche 27 juillet, organise une journée taurine particulièrement attractive avec une novillada de Yonnet le matin et une corrida de Veiga Teixeira et Dolores Aguirre l'après-midi.
 
   (On peut cliquer sur les mots en bleu pour de plus amples renseignements) 
   
   
 
 
 
 

samedi 15 février 2025

Exposition Goya à Bordeaux

 

 
   On peut voir en ce moment et ce jusqu'au 13 avril quatre lithographies taurines de Goya au MusBA (Musée des Beaux-Arts de Bordeaux). On sait que le célèbre peintre espagnol passa en exil à Bordeaux les dernières années de sa vie (1824 - 1828). Il y retrouva nombre de ses concitoyens afrancesados, c'est à dire aux idées politiques libérales, et pour cette raison en butte à l'absolutisme de Fernando VII.
   Ces fameux ''Taureaux de Bordeaux''  montrent à quel point sa créativité et son aficion a los toros sont restées intactes malgré les épreuves. Son ami, exilé comme lui, Leandro Fernandez de Moratin témoigne : "Goya dit qu'il a toréé dans sa jeunesse, et que l'épée à la main, il ne craint personne. Dans deux mois il fêtera ses quatre-vingts ans."
   On regrettera l'absence d'une lithographie de la série bordelaise (la 4, la plaza partida) mais on se consolera en admirant l'épreuve unique de "Combat de taureaux", unique car écartée au moment du tirage. En tout état de cause, cette modeste exposition se veut un simple amuse-bouche par rapport à celle en préparation pour 2028 qui célèbrera le bicentenaire de la mort du génial Aragonais.
 
 
 
 
 

 
 illustrations : - Goya   Taureaux de Bordeaux  n°3   1825
                       - statue de Goya   Bordeaux   place du Chapelet  (réplique de l'œuvre de Mariano Benlliure)